Le Quatrième trimestre
Cette période dont on commence à parler davantage, ce premier trimestre de la vie du bébé est bien le quatrième trimestre de grossesse.
Les parents sont souvent débordés par l’intensité des besoins du bébé pendant ces 3 mois. Ils ont peu de représentations de cette période de la vie. En parler en préparation à la naissance est donc essentiel.
Le premier trimestre est celui où le besoin de soutien est le plus fort.
À la naissance, le système nerveux, et particulièrement le cerveau, de l’être humain est nettement moins développé que chez les autres primates.
Ce qui se passe dans la réponse aux besoins particuliers des bébés dans ce « quatrième trimestre » est donc probablement fondamental.
Le système intestinal est lui aussi immature et vierge à la naissance. Sa colonisation rapide, mais pas assez à notre goût, va rendre son travail difficile jusqu’à 3 ou 4 mois environ, puis s’apaiser sans que nous n’y fassions rien.
On n’insistera jamais assez sur l’inachèvement important du bébé, son immaturité, et donc son extrême dépendance, particulièrement les quatre premiers mois.
La méconnaissance des comportements normaux du nouveau-né ne permet pas de rassurer les parents. Au contraire, nous les inquiétons en leur demandant de faire grandir ce bébé plus vite qu’il n’y est prêt. Nous leur faisons penser que ce qui est un comportement développemental normal est un comportement à corriger. On va proposer de corriger ce comportement en « l’encadrant » par des normes de puériculture souvent trop rigides.
Exemples de comportements qui vont être très désorientant pour les parents :
- téter entre huit à vingt fois par jour ;
- ne pas prendre un repas en continu mais en petits plats successifs, avec des pauses entre les plats donnant l’impression de très longues tétées et que le bébé est « pendu au sein » une large partie du temps. Et tout ça de façon complètement anarchique : la prise de repas suit plus son éveil que son appétit, donc surtout après-midi, soir et début de nuit ;
- téter deux à trois fois la nuit ou plus ;
- ne jamais dormir plus de 45 minutes dans un berceau tant il faut du temps pour se départir du bercement utérin. Le nouveau-né a le « mal de terre ». Il est comme un navigateur parti de longs mois en mer et qui ne peut plus dormir dans un lit sans le clapotis et le bercement de la mer à son retour sur terre ;
- avoir des besoins de portage qui dépassent souvent tout ce que les parents avaient imaginé. Et donc ne dormir deux ou trois heures dans la journée que si l’on marche avec lui dans les bras ou en portage. Ce qui veut dire que l’on ne peut pas en profiter pour dormir nous-mêmes ;
- avoir des moments de grande agitation le soir, où seuls le sein, les bercements en marchant vont apaiser le bébé ;
- être très agité et bruyant quand il dort ;
- avoir un besoin intense de proximité corporelle et n’étant bien parfois que sur nous, surtout le premier mois. En résumé, détester les berceaux ;
- avoir besoin d’enroulement et de rassemblement pour se calmer.
Cette dépendance extrême et ces comportements du nouveau-né ont toujours existé.
Les mères se sentent coupables d’être débordées par les besoins du bébé, comme si cela signifiait qu’elles n’étaient pas assez fortes ou maternelles.
Mais une mère seule avec son bébé est une réalité rare dans l’histoire de l’humanité, et encore dans une grande partie du monde actuel. Le portage du bébé est la plupart du temps partagé par l’ensemble du groupe familial.
Pour accepter une dépendance aussi forte que celle qui nous lie à un nouveau-né, et cela pour plusieurs mois, il est essentiel que les parents reçoivent sans aucune ambiguïté le soutien franc, massif et empathique du personnel soignant.
Côté mère, le bain d’hormones et le corps qui se restructure renforcent l’émotivité. Traverser une période intense en fatigabilité, sommeil écourté, émotions fortes et paradoxales, sans être sûre que cela est une bonne chose, avec une culpabilité lancinante, souvent dans une grande solitude, est tout bonnement terrifiant pour certaines …
Une des émotions qui revient en boucle sous une immense culpabilité est l’ambivalence des sentiments. On fait croire aux mères qu’elles vont vivre les plus beaux moments de leur vie, ce qui bien entendu est aussi le cas mais on ne parle de
- Rien sur le deuil que cela représente par rapport à notre vie libre antérieure, où seuls nos besoins comptaient.
- Rien sur le manque de sommeil pendant des mois parfois.
- Rien sur la difficulté à comprendre notre bébé et une adaptation à renouveler à chaque instant puisque le bébé se développe à la vitesse de la lumière, et change chaque jour.
- Rien sur les chamboulements dans notre vie de couple.
- Rien sur les renoncements professionnels ou les choix douloureux que ce bébé induit.
- Rien sur le fait que l’amour pur n’existe pour personne et que plus le lien est proche, plus les sentiments opposés coexistent. Pourquoi en serait-il autrement avec nos enfants ? Le nouveau-né, avec ses pleurs et ses besoins intenses, n’est pas le plus simple à aimer en continu. Et c’est notre première rencontre avec nos sentiments maternels.
En parler en amont peut aider sans pour autant faire peur et ouvrir l’espace de parole après est important.
La femme moderne est très organisée. Le plus souvent, elle mène ses multiples niveaux de vie (professionnelle, loisir, couple, etc.) grâce à cette maîtrise et à cette organisation. Elle en oublie la possibilité qu’à tout instant l’organisation et la maîtrise puissent se défaire. Et là, surtout les quatre premiers mois, c’est le chaos, rien n’est stable. Pour un certain nombre de mères, cette désorganisation transitoire est très angoissante, d’autant qu’elles ont, souvent, un doute sur son aspect transitoire.
C’est plus facile avec le second, car elles savent que vers 4 mois, le chaos commence à s’organiser car le bébé commence à s’organiser : on peut le poser un peu seul à côté de soi, les tétées sont plus rapides et plus espacées, il a moins besoin de portage intense, il pleure moins, etc.
Bien sûr, après 4 mois, ce n’est pas l’autonomie, les besoins sont encore forts, les réveils de nuit vont encore être là pendant des mois parfois, l’excitation dans certaines périodes d’acquisition développementale aussi. Mais plus de légèreté s’installe, plus de relais sont possibles…
Notre rôle, il me semble, dans cette période de la vie, est de soutenir les parents et de valoriser ce travail harassant que représente ce premier trimestre, leur en expliquer le sens, le mettre en perspective dans le temps, et les aider à organiser des relais. Et en résumé, sans qu’ils cherchent à le « pousser plus vite », ce qui, au-delà de son inefficacité, fabrique de l’insécurité, leur montrer que tout ce travail de tétées fréquentes, portage intense, proximité, permet à leur bébé bercé et nourri à la demande de se développer tranquillement, comme dans un prolongement de la grossesse.